14-18Hebdo

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Les habitants de Gercourt et leur exode pendant l’occupation allemande 1914 – Troisième partie - 6 au 12 septembre 1914

Document transmis par Renaud Seynave - 09/05/2018

Ecrit par Marcelle Ravenel, jeune institutrice de 24 ans

petite nièce de Marguerite Jeannesson épouse de Jean Vautrin.

(Ce cahier était avec les journaux de guerre d’Anna Vautrin)

Marguerite Vautrin, âgée de 87 ans fait partie de l’exode…

 

"Nous sommes en août 14, au début de la guerre. Les Allemands arrivent à Gercourt, petit village de la Meuse où habite Marguerite Vautrin, maman d'Alexis. Les habitants commencent leur exode..."

 

Rappel de la famille Vautrin

Gercourt est un petit village de la Meuse où vivaient Jean et Marguerite Vautrin, les parents d’Alexis.

 

Jean Vautrin né à Gercourt (Meuse) le 24 septembre 1798, décédé à Gercourt le 12 avril 1882 épouse Marguerite Jeannesson le 15 avril 1856, née à Brieulles sur Meuse le 24 septembre 1826, décédée le 7 novembre 1914 à Saulnes (Meurthe et Moselle).

 

Jean Vautrin, participa à différentes campagnes, dont douze en Algérie, il prit part à la prise de la Smalah d’Abdel Kader. Il fut fait chevalier de la Légion d’Honneur le 14 avril 1844. Il prit sa retraite à Gercourt en 1852 avec le grade de capitaine. Il a été maire de son village de 1858 à 1872.

 

Jean et Marguerite Vautrin ont deux fils :

 

Alexis Vautrin né à Gercourt le 29 mars 1859, décédé à Nancy le 4 juin 1927, docteur en médecine, professeur de clinique chirurgicale à la Faculté de médecine de Nancy, chevalier de la Légion d’honneur épouse le 29 avril 1889 à Cornimont Anna Perrin, née à la Bresse le 11 janvier 1867, décédée à Nancy le 13 mars 1939.

 

Albert Vautrin né à Gercourt le 19 mai 1866, sorti de St Cyr, épouse Odette Aubertin en 1896 à Sedan. Il est en 1914 chef de bataillon au 76e RI. Il est blessé à Vauquois en 1915 et meurt à Epernay le 2 novembre 1924 des suites de ses blessures. Il était officier de la Légion d’honneur et titulaire de la Croix de guerre.

 

 

Gercourt 1 Image1 Mme Vautrin et ses 4 petites-filles.jpg

Madame Vautrin avec ses quatre petites-filles en 1905

De gauche à droite : Madeleine 1892, Yvonne 1897, Suzanne 1890, Mme Vautrin, Marguerite 1895

  

 

"Elle pénètre dans la chambre où plusieurs officiers écrivent... leur demande ce qu’ils avaient fait du contenu d’une boite grise..."

 

Nous croisons maints convois qui eux aussi veulent rejoindre Béthincourt et Gercourt. En passant à Cumières, nous apprenons qu’un Uhlan qui rodait aux alentours d’une ferme a été tué. C’est le premier qui a osé s’avancer si loin.

 

Pour le soir, nous sommes à Forges où nous nous arrêtons chez les connaissances que nous avons là.

 

Comme les habitants y sont encore tous, après avoir mangé quelque peu, chacun peut trouver un lit pour passer la nuit. C’est là que nous rencontrons les premières patrouilles allemandes qui circulent continuellement dans les rues du village.

 

Au petit jour, grand-père, grand-mère et moi, nous nous rendons à Gercourt afin de renseigner les autres s’ils peuvent sûrement rentrer au village.

 

Nous arrivons par le haut du village, de tous les côtés débouchent des bandes de soldats. C’est sans doute l’heure de la soupe car ils ont chacun une gamelle à la main. Les cuisines roulantes sont installées dans le parc de M. Garnier en face votre maison. Des voitures régimentaires, des chars encombrent les prés des environs.

 

Des soldats sortent en quantité des granges et des maisons ouvertes. C’est à peine si nous pouvons passer dans les rues où retentissent les « Ach » des soldats allemands.

 

J’arrive à la maison, tout est fermé. J’entre par la grange. Un uhlan et son cheval y sont. L’homme me demande ce que je veux. Je lui dis que je voudrais entrer chez nous. Il m’accompagne, ouvre les persiennes car la cuisine est obscure. Le parquet est recouvert d’une épaisse couche de paille, les meubles sont ouverts et complètement vides, de l’armoire sortent quelques lambeaux de linge, restes de tout le linge d’une maison. Sur la table, des assiettes (qui ne sont pas à nous), des bouteilles, des restes indiquent qu’on a dû manger là. Il ne reste plus que les planches du lit. Les rideaux des fenêtres sont en lambeaux et toutes les vitres sont brisées.

 

Toutes les autres pièces de la maison sont couvertes de paille, les lits sont éventrés, des vêtements de toute espèce trainent çà et là.

 

Toutes les maisons du village ont subi le même sort. La literie a été transportée dans les granges et le lendemain matin, profitant de ce que les soldats ont quitté les remises, nous allons chercher parmi les matelas entassés dans les granges environnantes ce qui a été autrefois notre literie.

 

Vers trois heures de l’après-midi, les autres qui étaient restés à Forges arrivent. Les routes sont encombrées de soldats et de voitures. Il leur faut pour gagner le village couper à travers champs. Ils arrivent par le haut du village, c’est alors que la tante (Marguerite Vautrin) passant devant chez elle, voit la maison grande ouverte, la cour remplie de voitures. Rentrés chez nous, on commence par enlever les voitures, les provisions qui restent. On s’installe tous dans la cuisine.

 

La tante veut retourner chez elle, on l’accompagne mais elle ne peut aller plus loin que vers le milieu du village.

 

Pendant 11 jours, nous devons vivre ainsi au milieu des soldats qui à tout instant entrent et prennent ce qui leur plait dans le peu qui reste. Ils réclament surtout du lard et de la graisse. On doit les servir souvent, leur faire chauffer lait ou café qu’ils ne consentent à boire que si on boit avec eux.

 

Les troupes se renouvellent souvent, presque journellement et les nouveaux arrivants réclament toujours une part de ce qui reste chez l’habitant. Ils prennent le foin, les récoltes dans les remises, ils réquisitionnent vaches, chevaux, porcs qu’ils enlèvent aussitôt en échange de bons qui n’ont aucune valeur.

 

Dans les prés sur le chemin de Dannevoux passent les vaches réquisitionnées et destinées à la nourriture des soldats. On les tue de tous côtés, ils ne prennent guère que les bons morceaux. Les pattes restent à terre. Ils écorchent les porcs et n’utilisent pas la tête non plus.

 

La vie est devenue très difficile, on ne consomme plus guère que le lait qu’il reste, du café et, comme pain, nous n’avons que celui que les soldats nous donnent, car nous n’osons montrer la farine qu’ils nous enlèveraient aussitôt.

 

Plusieurs fois par jour, souvent la nuit, la patrouille passe dans les maisons avec leurs lances qu’ils envoient partout, dans les coins, sous les lits. Ils s’assurent qu’on ne cache pas de soldats français.

 

Pendant ces onze jours, la tante est allée deux fois chez elle, toujours accompagnée de l’une ou de l’autre. Arrivée à sa porte, un grand bonhomme lui demande ce qu’elle désirait. « Entrer chez moi » dit-elle.

 

« Ah madame, moi aussi, je suis chez moi »

« Cependant, c’est ma maison »

« Vous reviendrez après la guerre ».

 

Elle entre pourtant et, arrivée à la cuisine, un officier sort de la chambre qui lui demande si elle avait deux caves et du vin.

 

Elle répond « Je n’en avais qu’une, mais vous l’avez trouvé sans doute bon, mon vin ».

 

Elle pénètre dans la chambre où plusieurs officiers écrivent, elle cherche dans l’armoire et leur demande ce qu’ils avaient fait du contenu d’une boite grise qu’elle leur montre. Elle contenait dit-elle des décorations et mon alliance et cela n’appartenait qu’à mes enfants et moi. Pendant ce temps-là, tante Lise ramassait quelques chemises piétinées qui traînaient à terre puis on les invita à sortir. Les lits étaient dehors dans les jardins. Il ne fut pas possible d’aller jusqu’au grenier. Dans la chambre devant, les meubles y étaient encore : dans le buffet se trouvaient la garniture de cheminée, quelques robes, c’était tout.



11/05/2018
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