14-18Hebdo

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Henry Novel – Lettres à ses parents (1914-1918) – 22- Novembre 1918 - Fin

 

Henry Novel, 17 ans en 1914, est mobilisé en 1916 à Chambéry puis rejoint le front en 1917. Futur étudiant en médecine il est affecté à des services d’ambulance. Il correspond régulièrement avec ses parents qui habitent Grenoble où son père exerce la profession d’avoué.

Document transmis par Michel Novel, son fils - 19/10/2015

 

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Georges et Henry Novel

 

 

16.XI.1918 (le mois et l'année sont déduits)

Mes chers Parents,

 

Toujours au même petit pays d'Onchamps. Nous allons en partir un de ces jours pour aller je crois du côté de Mayence ! Comme je vous le disais l'autre jour j'ai eu une fin de guerre magnifique dont je garderai longtemps le souvenir et, actuellement encore, je ne suis pas fâché d'être ici... Les Allemands qui étaient de l'autre côté de la Meuse sont partis avant-hier, après avoir jeté à l'eau fusils, mitrailleuses, etc., et après avoir joué la Marseillaise sur un accordéon !!! Ils ont abandonné des trains de vivres, vêtements, armes, machines, ustensiles de toutes sortes et partout règne un pillage ahurissant.

 

Avant-hier nous avons eu une belle cérémonie. En face des boches qui regardaient pendant que les clairons sonnaient "au champs", le général Pellet à cheval, suivi du porte fanion et d'officiers à cheval, est venu remettre la Légion d'honneur à un de nos officiers. C'était réellement une jolie scène de guerre devant tous les civils qui criaient vive la France et pleuraient d'émotion. Je vous assure que réellement cela vous faisait quelque chose.

 

J'ai reçu une lettre de Maman datée du jour de la Victoire. Je comprends le soulagement que vous avez dû avoir.

 

Je vous avais demandé du papier à lettre, c'est une denrée introuvable ici où il n'y a rien à acheter. J'ai pu en avoir quelques feuilles grâce à l'obligeance d'un évacué qui me les a données mais j'en attends avec impatience.

 

Je vous embrasse tous.

 

18.XI.1918 (le mois et l'année sont déduits)

Mes chers Parents,

 

Hier soir j'ai été invité à diner par le commandant Lacolley du 3e bataillon. Il venait de recevoir une lettre de Papa qui lui demandait de mes nouvelles ; je n'ai pas été étonné outre mesure car actuellement lettres et dépêches inquiètes se succèdent pour tous ; ce qui m'a étonné davantage c'est que ce soit le commandant du 3e bataillon qui ait reçu cette lettre car il y a longtemps que je suis revenu de ce bataillon où je n'ai passé que trois semaines, dont j'ai gardé un excellent souvenir du reste.

 

Nous partons ce matin (il est quatre heures) pour aller je ne sais où mais du côté de Reims !!!! Notre armée va faire de l'occupation en bochie mais nous, malheureuse division détachée, il ne serait pas juste qu'ayant fait le travail, on nous donne la récompense. Aussi aujourd'hui avec un froid terrible nous nous appuyons une étape de près de trente Kms avec l'espoir de recommencer demain !!! Et dire que la guerre est finie !!! Ils ont de la veine d'avoir affaire à des indigènes car je ne sais pas si les Français supporteraient aussi bien, surtout maintenant, d'être traités comme on nous traite. Maintenant que le militarisme allemand est tombé c'est triste d'être obligé de dire qu'il faut encore démolir le militarisme français.

 

Je vous tiendrai au courant de mes déplacements, du reste d'ici une dizaine de jours vous me verrez apparaitre en permission, je pense être à Grenoble le 2 ou le 3 décembre au matin.

 

Je vous embrasse tous

 

19 XI 1918 (le mois et l'année sont déduits)

Mes chers Parents,

 

Nous commençons à croire que c'est un mauvais plaisant qui a fait courir le bruit que la guerre était finie. En effet si ce n'était pas la guerre je ne vois pas pourquoi on nous ferait faire le métier que nous faisons actuellement : nous allons à l'arrière et avant-hier nous avons fait 10 kms, hier 28 kms, aujourd'hui 20 et demain nous devons en faire 35… c'est de la folie et, pour accentuer cette folie, à tous les coins de route on rencontre tous les généraux et colonels de la création qu'on n’avait jamais vu autant que depuis que la guerre est finie… nous avons encore quatre ou cinq étapes pour aller je ne sais où mais en tout cas pas à l'endroit où nous mériterions d'aller. Il fait un froid terrible et hier malgré la marche il n'y avait pas moyen de se dégeler. J'espère que vous avez de mes nouvelles et que vous n’êtes plus inquiets. Cet arrêt du courrier a été général et tout le monde reçoit des demandes de nouvelles.

 

J'irai en permission d'ici une dizaine de jours.

 

Je vous embrasse tous.

 

23.XI.1918 (tampon de la poste pour le mois et l'année)

Mes chers Parents,

 

Nous continuons notre marche à l'arrière et... à toute vitesse. Hier 34 Kms, aujourd'hui 22, et demain on repart. Nous allons du côté d'Epernay. Heureusement que le beau temps s'est mis de la partie et s'il fait très froid les routes au moins sont sèches.

 

Les courriers sont très irréguliers et la dernière lettre que j'ai reçue de vous est du 15. Enfin j'espère que tous vous allez bien et je vous embrasse.

 

24.XI.1918 (le mois et l'année sont déduits)

Mes chers Parents,

 

Nos étapes sont enfin finies pour je ne sais combien de temps... Nous sommes ignoblement logés dans un pays en ruine mal organisé où l'on crève de froid, où on ne trouve rien et où on n'a même pas un toit pour vous protéger complètement de la pluie !!! C'est honteux et si c'est là toute la récompense que l'on trouve à donner à des gens qui se sont battus comme nous nous sommes battus, réellement on ne s'est pas foulé.

 

Je crois que si la guerre a tué beaucoup de monde il y tout de même pas mal d'obus qui ont manqué de belles occasions !!! La vraie cause de tous les embêtements que nous avons maintenant c'est certaines huiles colonels ou généraux qui se sont peureusement terrés tant que c'était la guerre et qui maintenant ne savent plus qu'inventer pour embêter les malheureux qui ont fait la guerre à leur place. Nous sommes plus mal que quand c'était la guerre et on nous impose encore une somme inouïe de souffrances inutiles. Il ne faut pas que cela dure car je crois qu'il aurait encore des coups de fusil pour finir la guerre !!!

 

On voit bien que les tirailleurs sont de pauvres et braves bêtes. Depuis le 5 nous avons fait 300 kms à pied dont 150 à la suite des boches et tout cela pour en arriver ici !!! C’est écœurant !!!

 

J'ai reçu hier une longue lettre de Papa qui a cru comme nous même l'avons cru un instant que nous partions vers la bochie... les temps sont changés...

 

Je crois qu'effectivement les permissions sont portées à 20 jours a partir du 10 décembre. Vous allez donc me voir arriver pour vingt jours d'ici une semaine au maximum. Ma citation - c'est une histoire ancienne - n'est pas sortie à cause des déplacements successifs qui ont empêché ces messieurs des états majors (encore des gens de l'active) de s'occuper des paperasses !!! C’est du reste le dernier de mes soucis car c'est fini et bien fini maintenant et toutes ces histoires militaires deviennent bien peu importantes.

 

Je vous embrasse tous.

 

29 XI 1918 (le mois et l'année sont déduits

Mes chers Parents,

 

Me voici, depuis hier soir, arrivé à Forbach, non loin de Sarrebruck. Nous sommes là pour une quinzaine de jours, après quoi on verra si nous n'avons pas perdu l'habitude de la marche !! Le pays est bien, à peu prés comme Voiron et aussi boche que la dernière des villes prussiennes. Il est à peu prés impossible de se faire comprendre en français et tout est hors de prix - quand je dis tout je fais beaucoup d'honneur au peu d'ersatz que l'on trouve dans les magasins.

 

Je suis logé chez de bons boches qui feraient une famille de larbins épatants. La popote est également chez un boche qui a profité de leur retraite pour se démobiliser "en douce".

 

Je vais probablement changer de bataillon un de ces jours et aller à quelques kms d’ici avec un bataillon qui fait la surveillance des frontières, mais je n'ai pas encore reçu d'ordre précis à ce sujet et je vous dirai tout cela dans mes prochaines lettres.

 

Je termine ma lettre interrompue un instant par l'arrivée de la bochesse qui est venue me monter des taies d'oreiller avec des kms de broderies dessus ; c'est bien beau mais ce ne sera pas très commode de roupiller là dessus.

 

Je vous embrasse tous.

 

P.S. Je vous renvoie les tickets de pain car on ne m'en a jamais demandé pendant mon voyage.

A suivre…



18/05/2016
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